• Auteur : Loïc d’Anterroches
  • Date : 13 décembre 2004 (13 juillet 2005)
  • Licence : Creative Commons BY-SA link_license
  • Site : URL d’origine du document

Logiciel libre et entreprise

A quelques rares exceptions près comme Open Office, la très grande majorité des logiciels libres sont développés en dehors du modèle économique classique de l’entreprise. Mais de plus en plus d’éditeurs ou de pourvoyeurs de services s’intéressent à "l’open source" [1]. Certains y voient du simple opportunisme, et craignent le mélange des genres qui gommerait peu à peu la frontière propriétaire/libre ; d’autres considèrent cette tendance comme l’une des voies pouvant assurer la pérennité de ce type de logiciel puisque gagner sa vie avec du libre est loin d’être évident.

Voici les réflexions sur le sujet de ce que l’on pourrait appelé un membre de la "communauté du libre", Loïc d’Anterroches, l’auteur du CMS Plume, publiées à l’origine sur son site Xhtml.net [2]

Je ne suis pas un fan des logiciels libres, je suis un utilisateur contributeur, je prends plaisir à les utiliser, par exemple je n’ai que les drivers de ma carte vidéo comme logiciel non libre sur cet ordinateur pour le moment et le système qui gère le contenu de ce site est sous licence libre. Bon, oui, il y a toujours le double démarrage windows, mais cela fait si longtemps, je me demande si les icônes prennent la poussière ou pas...

Maintenant, je constate une polarisation douce, mais une polarisation quand même, entre ce que je vais appeler les adeptes du GNU et les adeptes du Open Source. Pour les premiers, les logiciels devraient tous être des logiciels libres, pour les seconds, les logiciels sont un écosystème avec un métissage entre des logiciels libres et des logiciels propriétaires. Cette définition a le mérite de me convenir et je ne pense pas que je vais trouver beaucoup de personnes pour me contredire sur ce point. Il faut noter que les adeptes changent, ils peuvent passer d’un bord à l’autre.

Si je prends la plume ce soir, c’est après avoir lu Logiciels libres : free as a beer de Bruno Lemaire et Bruno Decroocq. En dehors de contenir un nombre important d’erreurs par rapport à la licence GPL et de faire une relecture un peu particulière de l’histoire (Lire la discussion sur les inexactitudes de l’article) il pose la question de la possibilité de l’assimilation du logiciel libre dans les entreprises de développement logiciel. On ne parle pas ici des entreprises utilisatrices des logiciels libres, mais bien des éditeurs de logiciels.

Il y a un débat récurrent en ce moment, ce débat est sur la possibilité de développement propriétaire pour nourrir du libre. Pour certains, c’est une bonne chose, pour d’autre c’est un compromis inacceptable, car ce développement propriétaire est bien une suppression des libertés de l’utilisateur. C’est bien là que deux logiques s’affrontent.

Maintenant si on fait un petit retour en arrière et qu’on regarde l’évolution du logiciel libre depuis ces 20 dernières années, que voit-on ? On voit que cela ne fait que quelques années que les entreprises s’impliquent de manière importante dans le logiciel libre, et que la majorité des développements ont été fait sans les entreprises et se continueront sans les entreprises.

Le logiciel libre vit sans les entreprises et continuera de vivre sans les entreprises, le logiciel libre se base sur un besoin des utilisateurs, sur le goût du partage et sur la disponibilité de compétences. Le logiciel libre est un idéal, et comme tout idéal il ne souffre pas le compromis. Par contre, par rapport à certains idéaux, le logiciel libre a cela de bon, qu’il se construit chaque jour, plus vite qu’il ne souffre des effets de l’entropie. Chaque jour nous rapproche de cet idéal.

Pourquoi certains se tournent vers du développement propriétaire ?

Si aujourd’hui, certaines entreprises offrant des services autour des logiciels libres veulent inclurent ou ont déjà dans leur portfolio, le développement de logiciels propriétaires, c’est tout simplement que dans leur environnement le service n’est pas suffisant pour vivre. En effet, il faut pouvoir être dans un domaine pointu pour pouvoir réellement proposer un logiciel libre et gagner de l’argent avec le service associé. Le service peut être au niveau de l’intégration de briques, comme une solution de messagerie, ou du conseil par exemple autour de l’utilisation de logiciels de haute technicité métier.

Par exemple, si vous créez un éditeur de texte, un logiciel comme Dreamwaver, un logiciel grand public, vous ne pourrez que très difficilement développer du service (en dehors, il est vrai, de la formation). Cela ne veut pas dire que le code du logiciel est en lui même simple, cela veut dire que les notions mises en oeuvres sont simples et donc que l’utilisateur n’a pas besoin d’une formation spéciale pour utiliser le logiciel, un bon manuel suffit.

Où pouvoir développer du logiciel libre et en vivre ?

À un endroit, où même le bon manuel ne suffit pas. Vouloir gagner de l’argent avec du logiciel libre dans le milieu du logiciel comme outils généralistes n’est pas très viable, car il existe déjà de très nombreuses personnes sur le marché. Je vous laisse faire une recherche sur le nombre d’éditeurs XML, éditeurs de codes, bases de données, etc. Toutes ces briques répondent aux besoins des programmeurs, naturellement des versions libres sont alors disponibles. Dans ce domaine, oui vous pouvez produire un excellent logiciel propriétaire et en vivre, mais pas un logiciel libre. Vous pouvez par contre essayer de les intégrer, comme font les SSLL.

J’ai toujours trouvé dommage de voir certaines de mes connaissances partir pour faire de l’informatique et uniquement de l’informatique, quand elles avaient aussi un intérêt pour d’autres domaines dans les sciences. Il est vrai que j’ai pris conscience de cela que sur le tard, quand j’ai pu mettre au service de la science mon goût pour le code. En effet, là, à l’interface entre des concepts de haut niveau et un besoin d’outils performants pour les manipuler, la notion de service est déjà la base du système. Dans ce domaine les logiciels sont loués à l’année, dans ce domaine l’important est le support et la compétence des interlocuteurs bien au-delà des lignes de code. Mais les lignes de code deviennent importantes pour la pérennité de l’investissement de l’entreprise. Si vous aimez coder, mais que vous aimez aussi les avions, faites de études d’aéronautique, vous verrez vite le manque de codeurs avec de réelles connaissances techniques. Fuyez les formations généralistes (sauf si vous êtes en France ou au Japon, pays un peu bizarres où le diplôme guide votre carrière à vie au mépris de la raison) et devenez un expert avec un esprit ouvert.

Les briques de base sont condamnées a n’avoir que de moins en moins de valeur car selon l’adage : le logiciel libre est gratuit après avoir été payé. Qui payera pour une suite bureautique, un éditeur de page web, un compilateur ou un navigateur web dans 10 ans ?

[1] Voir par exemple la "mésaventure" d’Olivier Meunier avec Free, fournisseur d’accès internet qui avait envisagé de proposer DotClear en installation automatique. NdE.

[2] Et comme Plume ne possède pas encore de gestion de commentaires, vous êtes invité à laisser les vôtres ici ;-). NdE.

Commentaires

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Entreprendre dans les logiciels libres , le 25 octobre 2010 par Baptiste SIMON (0 rép.)

bonsoir,

on est exactement sur ces questions... et on est entrain de monter une offre de formation / séminaire.

"Comment réussir avec le libre sans se trahir, et sans s’oublier ?"

""" Il arrive que les questions soulevées ne trouvent pas de réponses sur internet. Les solutions vraiment pertinentes qui conditionnent la réussite de votre entreprise ne s’achètent pas, elles se cherchent ensemble. """

-----> http://entreprendre.libre-informati...

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Logiciel libre et entreprise , le 20 juillet 2006 par jess (2 rép.)

bonjour, êtes-vous l’auteur du texte sur les logiciels libres ? Je suis à l’univeristé de genève et je fais mon term paper sur les logiciels libres sans les entreprises, avantages et inconvénients. Je reconnais que je ne suis pas une "pro" de l’informatique, donc je recherche des gens qui pourraient soit m’orienter, soit répondre à mes questions, merci d’avance jk

-----> logiciel libre et entreprise, dossier pour l’université

Logiciel libre et entreprise , le 20 juillet 2006 par Tolosano

Salut, pour des questions ciblées, mieux vaut passer directement sur le Forum de Framasoft, tu auras sûrement beaucoup de personnes prêtes à répondre à nombre de tes questions ;-)

Tolosano

-----> Forum de FramaSoft

Logiciel libre et entreprise , le 22 juillet 2006 par markmade

la société TAIKA sort une nouvelle distribution Linux Open Source pour l’entreprise.

-----> TAIKA PGI Suite

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> Logiciel libre et entreprise , le 17 décembre 2004 par rezki (1 rép.)

Si on suit votre raisonnement il faudrait mettre d’un côté les logiciels généralistes et de l’autre les applications spécialisées. C’était vrai il y a quelques années. Aujourd hui, un géant comme Open Office intègre des extensions spécialisées (permettant un usage scientifique, encyclopédique, grammatical...). Du coup, la distinction que vous faîtes n’est pas si évidente que cela.

> Logiciel libre et entreprise , le 18 décembre 2004 par Loïc

C’est vrai, Open Office devient une brique sur laquelle on peut construire. Ce qui est souvent dit, c’est que l’outil de base de l’ingénieur est Excel (bientôt Calc...).

Pour moi, l’usage scientifique/spécialisé d’OpenOffice fait partie de ce placement en niche, car pour pouvoir réaliser l’extension scientifique il faut plus que la connaissance de l’architecture d’OpenOffice et la programmation dans le langage qui va bien. Il faut cette connaissance et les connaissances scientifiques. C’est cette valeur ajoutée qui est à mon avis la base pour vivre du logiciel libre.

Pour vivre d’un produit/conseil, il faut être réaliste, il faut avoir une différenciation par rapport aux autres. Elle peut venir du prix - très bas, mais le libre est gratuit pour les éléments de base - ou de qualité - ici les connaissances associées que le fournisseur a en plus des autres.

Je ne pense pas qu’il existe une seule réponse, beaucoup de choses restent à inventer, et ça c’est sympa !

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> Logiciel libre et entreprise, économie de la gratuité , le 14 décembre 2004 par fun sun (3 rép.)

Bonjour,

Votre article me laisse perplexe. Il propose une solution médiane aux codeurs des logiciels libres. Cependant associer une passion, coder, à un haut degré de technicité (aéronautique dans votre exemple) peut résoudre le problème pour les codeurs mais pour ceux qui ne le sont pas ; quelles solutions avez-vous à proposer d’une manière particulière et quelles solutions avons-nous à proposer d’une manière générale au regard du logiciel libre ?

Ce que vous décrivez est l’actuelle fonction du marché de l’emploi : organiser un ciblage vers des secteurs à haut degré de technicité. Ce qui exclut, d’emblée, beaucoup de monde tant que nous continuerons à cautionner le fonctionnement éducatif officiel où l’école sert à prouver que l’égalité du point de vue de l’intelligence n’existe pas reprenant le vieil archétype théologien de l’élection sélective (élu, élite).

Pour ceux, celles qui n’auront pas accès à ce marché. Les seules propositions concrètes existantes sont d’un côté la « star academy » et pour ceux, celles qui prétendent vouloir un autre monde « l’altermondialisation ». Autrement dit espoir et utopie. Dont nous savons tous et toutes qu’ils sont porteurs de frustrations.

En forçant le trait de votre article il serait peut-être possible de voir les contours d’un autre dessein où le marché de l’emploi à haut degré de technicité produirait une haute valeur économique libérant ainsi les autres, ceux, celles qui n’y ont pas accès, de la production de cette valeur économique et les autorisant à vivre dans une société libre ou l’Économie de la gratuité produirait de l’égalité (à l’instar du phénomène actuel des logiciels libres).

> Logiciel libre et entreprise, économie de la gratuité , le 15 décembre 2004 par eriol

espoir et utopie entraine frustration, oui sans doute, mais c’est egalement ce qui nous fait avancer. croire en un ideal permet la progression, il faut simplement etre concient de l’utopie. il s’agit en effet de poser un paradigm vers lequel s’orienter, c’est vrai pour le communisme, le liberalisme ou l’altermondialisme. ceux qui jouent avec nos espoir comme star academy sont quant a eux plus que condammnables.

> Logiciel libre et entreprise, économie de la gratuité , le 18 décembre 2004 par Loïc

Bonjour Fun sun,

Dans votre remarque, il y a une extension du débat. Extension intéressante car portant sur la société que nous voulons. Ce n’est pas évident de répondre, je suis assez d’accord avec la réponse d’eriol. L’utopie est un guide, un idéal, en soi c’est cela qui pousse à toujours faire avancer les choses. Pour penser un peu plus à l’égalité dans nos sociétés, un très bon livre que je lis en ce moment The Silent Takeover. Ce livre fait un rappel de l’évolution de nos sociétés occidentales et pourquoi le capitalisme n’est pas quelque chose de mauvais, mais que le problème vient plus du rôle que nous donnons à l’état.

En forçant le trait de votre article il serait peut-être possible de voir les contours d’un autre dessein où le marché de l’emploi à haut degré de technicité produirait une haute valeur économique libérant ainsi les autres, ceux, celles qui n’y ont pas accès, de la production de cette valeur économique et les autorisant à vivre dans une société libre ou l’Économie de la gratuité produirait de l’égalité (à l’instar du phénomène actuel des logiciels libres).

Le logiciel libre n’est pas la solution universel au problème de l’emploi. La haute technicité vient aussi de la qualité d’un artisan, de votre médecin, de votre boulanger. Une société s’ancre dans le réel, il faut manger, aller faire ses courses chez l’épicier du coin de la rue, discuter avec votre conseiller municipal. La société ce n’est pas un marché, ce sont des hommes, des liens sociaux, du contact avec les autres. Le logiciel libre c’est le don de passionnés du logiciel, mais quelqu’un qui va donner des cours de maths dans une prison, qui va s’engager pour la sauvegarde d’un espace naturel, c’est la même chose, un don de temps et de compétences. Chacun peut donner, chacun peut participer pour rendre notre société vraiment démocratique en agissant tous les jours, en faisant entendre sa voix, et pas uniquement le jour d’un élection.

Pour avoir une société avec plus d’égalité, il ne faut pas discuter, il faut agir, il faut reprendre contact avec les gens autour de nous, et ensemble reprendre la main sur nos institutions qui sont là en premier lieu pour nous représenter et nous défendre.

> Logiciel libre et entreprise, économie de la gratuité , le 28 décembre 2004 par fun sun

Pour répondre à eriol et loïc,

Je suis bien d’accord avec vous. Il n’y a pas de réponses simples.

Cependant à propos de l’utopie. Beaucoup préfèrent réfléchir sur l’utopie irréelle de Platon l’Atlantide et même lui donner un aspect historique que sur une société égalitaire réelle quasi contemporaine de Platon : Uranopolis créée par Alexarque.

Il faut de temps à autre passer l’utopie à l’épreuve de la réalité et voir comment celle-ci s’inscrit dans les faits à l’instar de la traduction du libéralisme politique en libéralisme économique. L’astuce consistant pour le capitalisme a faire croire à une égalité de terme entre ces deux libéralismes.

La dernière astuce du capitalisme, selon Galbraith, étant de se rebaptiser en "économie de marché" afin de mieux noyer le poisson.

Donc continuons nos actions (comme la lettre de remerciements au sous secrétaire d’état polonais ; que se serait-il passé sans son intervention ?) et nos réflexions sur le sujet (par exemple, comment rendre plus actif nos ministres ? ;-)

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> Logiciel libre et entreprise , le 13 décembre 2004 par corto (3 rép.)

Un petit soucis : le service informatique n’est pas seulement la formation. Juste un exemple d’un autre service : J’ai réalisé un traitement de texte sous licence GPL(c’est pas vrai, c’est juste un exemple ;)), et votre entreprise l’utilise. Un jour, elle a besoin d’une fonction qui n’existe pas dans mon programme. Votre entreprise peut me payer pour rajouter cette fonction dans mon code. Je suis le mieux placé pour l’ajouter rapidement car je connais mon code, je n’ai pas à l’étudier. Vous me dirais que votre entreprise paiera une fonctionnalité que tout le monde pourra utiliser. Mais elle peut profiter aussi des améliorations que me demanderont d’autres personnes et n’aura pas besoin de migrer vers un autre traitement de texte qui a cette fonction.

> Logiciel libre et entreprise , le 14 décembre 2004 par Loïc

Quand je parle de support au niveau d’applications métier spécialisées, cela ne se limite pas à répondre à des questions. Si les entreprises paient cher ce type de support, c’est aussi pour avoir les implémentations et modèles dont elles ont besoin. C’est la personnalisation de l’outil pour servir exactement les besoins du client. Tu as un bel exemple avec SQL-Ledger qui est en GPL et fonctionne sur ce principe, mélange de support et de personnalisation.

Le fait est, que faire de la personnalisation sur un traitement de texte, cela ne va pas faire vivre quelqu’un longtemps... c’est pourquoi trouver une niche "pointue" est je pense l’avenir, surtout quand on voit l’évolution des compétences à l’échelle de la planète.

> Logiciel libre et entreprise , le 14 décembre 2004 par corto

Ca n’a donc rien a voir avec le libre : Ce que tu dis c’est que les traitements de texte n’évolueront presque plus.

Je me trompe ?

> Logiciel libre et entreprise , le 18 décembre 2004 par Loïc

Non, mais que le traitement de texte est un outil général, avec des besoins communs pour un nombre très important de personnes. Cela donne donc quelque chose qui évolue, mais qui évolue avec une communauté importante et la logique derrière ton traitement de texte est relativement simple, donc tu ne verras pas une entreprise qui payera pour une fonctionnalité, par contre elle payera pour une intégration dans un système de gestion des documents à l’échelle de l’entreprise. Soit tu intègres des briques simples, soit tu travailles sur de la logique métier qui implique des logiques complexes (comptabilité, gestion de stock, simulation numériques, etc.)

C’est vraiment un avis personnel au regarde de ce que je vois dans mon domaine (procédés industriels, simulation, etc.).

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