Une lettre de l’ADULLACT aux candidats à l’élection présidentielle de 2007 - Les enjeux du logiciel libre

Vous touverez ci-après une lettre de l’ADULLACT [1] adressée aux candidats à l’élection présidentielle de 2007, à propos des enjeux du logiciel libre.

Après un préambule et deux remarques, cette lettre formule six propositions concrètes :

  1. contre les brevets logiciels
  2. pour l’ouverture des données publiques
  3. pour s’imposer des formats ouverts et imposer l’intéropérabilité
  4. contre la vente liéee
  5. pour l’enseignement de l’informatique
  6. pour bâtir l’administration électronique par une mutualisation à grande échelle

ADULLACT
335, cour Messier
34000 - Montpellier
+33(0) 467 650 588
francois.elie AT adullact.org

Angoulême, le 19 février 2007

Madame la candidate,

Monsieur le candidat,

Vous vous présenterez bientôt aux suffrages des citoyens français pour briguer la charge de Président de la République. La campagne présidentielle roulera autour de grands et de petits sujets. Je voudrais vous parler d’un sujet en apparence mineur dont les enjeux sont immenses : le logiciel libre.

Permettez-moi en préambule un rappel historique et deux remarques.

Il ne viendrait à l’esprit de personne de payer son écot pour l’utilisation du théorème de Pythagore. Et pourtant, le saviez-vous, Pythagore interdisait à ses disciples de divulguer les théorèmes et leurs démonstrations. Il y a vingt-cinq siècles, le miracle grec, à qui nous devons en partie notre civilisation du savoir ouvert, a libéré les mathématiques. Il semble évident à tous qu’il y a un modèle économique autour des mathématiques libres : une économie de valeur ajoutée et non une économie de rente.

Nous assistons aujourd’hui à la libération de l’informatique. La France peut y avoir sa part, éminente : vous en déciderez.

Ce qui pourrait se produire aussi, si nous n’y prenons pas garde, c’est le refermement de vingt-cinq siècles de savoir ouvert : une nuit effroyable qui balaiera tout espace public à la faveur de droits de propriété nouveaux dans l’univers immatériel et où la manipulation de l’information par des pouvoirs obscurs sera l’instrument d’une perversion du politique, auprès de laquelle les pires cauchemars de Tocqueville ou d’Orwell seront d’aimables plaisanteries.

Si le commun des mortels ne sait pas grand chose de l’informatique libre, c’est parce que l’informatique familiale a connu un grand développement grâce à la diffusion des ordinateurs personnels depuis le milieu des années quatre vingt, en faisant le succès d’un modèle propriétaire (fermé, secret), et de situations monopolistiques et féodales. Discrètement, un vaste mouvement spontané a produit de manière collaborative des systèmes sérieux, solides, du niveau d’Unix, mais libres : par exemple GNU/Linux. Les logiciels libres et les standards ouverts, issus de la recherche scientifique, ont bâti l’internet. Excusez du peu ! En France, nous n’avons pas vu venir l’internet : nous avions le minitel. Nous étions un des premiers pays dans le domaine informatique, et nous avons perdu notre place. Mais nous n’avons pas perdu la guerre. On dit que l’histoire ne repasse pas les plats, mais pourtant la France et l’Europe comptent beaucoup dans le domaine du logiciel libre. Saurons-nous saisir notre chance ?

Nous vivons une révolution sans précédent dans l’information ; elle brutalise nos systèmes juridiques parce que la copie d’un objet numérique est identique à l’original, et elle surprend par sa vitesse. La place de la France dans le monde de demain dépend de sa place dans la société de l’information. Ceux qui ne seront pas dominés et qui pourront y porter les valeurs de la liberté sont ceux qui maîtriseront les outils immatériels que sont les logiciels. La maîtrise des outils de traitement de l’information devrait nous préoccuper au moins autant que l’indépendance énergétique. Une politique forte dans le domaine du logiciel libre serait l’instrument de cette indépendance. Puisse la France ne pas se tromper de guerre en s’armant avec les armes de la précédente !

Dans un monde ouvert, notre pays, au sein de l’Europe, doit agir pour se donner les moyens de son indépendance. Vous pourrez agir. La France peut reconquérir la place qui lui revient : à plusieurs conditions. Voici six propositions concrètes, que l’Assemblée Générale de l’ADULLACT vous encourage à faire vôtres.

(1) Les brevets sur les logiciels sont aussi absurdes que le serait un brevet sur le théorème de Pythagore. a) Ils ne servent qu’aux grandes entreprises, principalement étrangères, à freiner l’arrivée de nouveaux entrants sur leurs marchés. Or ce sont nos petites et moyennes entreprises qui font avant tout notre richesse d’innovation et qui sont les gisements des emplois d’aujourd’hui et de demain. b) L’insécurité juridique artificielle introduite par les brevets sur les logiciels fragiliserait l’administration électronique qui se bâtit en logiciels libres. En un mot : accepter les brevets sur les logiciels serait comme se tirer consciencieusement une balle dans le pied. Il faut que la France donne de la voix en Europe pour écarter définitivement ce danger mortel.

Il faut bouter les brevets sur les logiciels hors d’Europe !

(2) L’espace public est en danger. D’immenses empires se construisent en s’appropriant l’information mondiale. La puissance publique doit donner l’exemple de l’ouverture : toutes les données publiques doivent être accessibles à tous. Personne ne doit avoir à repayer pour utiliser librement ce que les deniers publics de la Nation ont déjà payé. Il faut encourager une économie de l’immatériel fondée sur l’exploitation libre des communs, au lieu d’organiser leur production en vue de la rente. C’est vrai des données cartographiques et statistiques, des lois, des thèses, des normes, etc. Des gisements de développement importants existent. Dans l’univers libre, des forces immenses n’ont pas encore donné.

(3) Les formats propriétaires (dont le code est secret ou l’utilisation restrictive ou payante) sont a) l’instrument de systèmes de contrôle fondés sur l’obscurité, b) le moyen par lequel les clients deviennent captifs, et c) l’occasion d’extensions indues du droit de propriété (sur les fameuses mesures techniques de protection par exemple). Les administrations de l’Etat et des collectivités doivent s’imposer des standards ouverts pour leur propre liberté et imposer l’interopérabilité pour les accès à tous les objets numériques. Le Référentiel Général sur l’Intéropérablité doit promouvoir les standards ouverts tels que définis dans la Loi sur la Confiance dans l’Economie Numérique.

(4) Des monopoles qu’aucune loi anti-trust ne semble menacer dominent l’informatique mondiale. Il faut faire respecter la loi qui interdit la vente liée des ordinateurs et des systèmes d’exploitation ou logiciels. Pourquoi un particulier qui achète un ordinateur se voit-il imposer l’achat d’un système d’exploitation ? Pourquoi peut-il avoir le choix en Argentine et pas en France ? Pourrions-nous accepter que toutes les voitures vendues en France soient toutes assurées par un assureur étranger qui fait 90% de marge ?

(5) C’est la jeunesse qui fera le monde de demain. Il est très urgent d’enseigner très tôt la maîtrise et non pas seulement l’utilisation de l’informatique, les techniques et non pas les modes opératoires. Il faut promouvoir l’informatique comme discipline à part entière dans l’enseignement secondaire, et y encourager l’esprit et les outils de production et de partage, pour le savoir et les richesses. Il faut former les acteurs et non de simples consommateurs de la société de l’information. Pourquoi dans notre pays collégiens et lycéens ne peuvent-il s’initier à la programmation ou au travail collaboratif ?

(6) Le logiciel libre est le laboratoire de l’économie de demain. Il est urgent de mesurer le levier que constitue la commande publique, et la responsabilité de l’Etat en la matière : les formats ouverts et les logiciels libres ne sont pas une menace contre la concurrence, ils en sont la condition ! Des économies d’échelle considérables peuvent être faites. L’argent public ne doit payer qu’une fois, et justement, un logiciel libre est gratuit une fois qu’il a été payé. Une véritable mutualisation, à grande échelle, pour bâtir l’administration électronique fera de la France entière un pôle de compétitivité logiciel libre. Il faut soutenir activement, fortement et publiquement les initiatives dans ce domaine, en invitant largement à inventer les modèles économiques fondés sur l’excellence de la valeur ajoutée, qui redonneront à la France la place de premier plan qu’elle mérite dans le concert des nations.

Richard M. Stallman [2] résume le logiciel libre en trois mots : liberté égalité fraternité. C’est la devise de la France !

En vous demandant de prendre la mesure des enjeux du développement du logiciel libre pour la France, j’écris ces mots en tremblant : l’avenir en effet nous jugera. Ceux qui pouvaient agir et ne l’auront pas fait porteront une lourde responsabilité devant l’histoire.

Il faut faire vite car les changements économiques et sociaux brutaux liés à la mondialisation des échanges et aux changements climatiques réclament la participation active de tous, la reconnaissance des compétences et des changements continus. C’est précisément comme cela que se développent les logiciels libres !

Je vous prie d’agréer, Madame la candidate, Monsieur le candidat, l’expression de ma très haute considération.

François ELIE
agrégé de philosophie et informaticien
Président de l’ADULLACT [3]
au nom de l’Assemblée Générale réunie à Paris le 31 janvier 2007.

[1] Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour l’Administration et les Collectivités Territoriales

[2] Richard M. Stallman : Fondateur de la Free Software Foundation

[3] L’ADULLACT : L’Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales, née en 2002, s’est donnée pour tâche de constituer, développer et promouvoir un patrimoine commun de logiciels libres métiers, afin que l’argent public ne paie qu’une fois. Elle réunit de nombreuses collectivités françaises, des hôpitaux, des administrations, des établissements d’enseignement, des entreprises, des associations et des particuliers. Elle dispose d’une équipe permanente et a donné naissance à la première forge dans le monde pour le développement de logiciels dédiés à l’argent public : adullact.net.
Elle défend l’équation : mutualisation + argent public = logiciels libres.
L’ADULLACT a inspiré la proposition 35 de la déclaration du Sommet Mondial des Villes et des Pouvoirs Locaux
Privilégier, dans la mesure du possible, l’usage et le développement de logiciels libres dans les investissements de nos villes et de nos régions, de manière à ce que ces investissements puissent servir à d’autres collectivités locales.
L’ADULLACT était accréditée au Sommet Mondial pour la Société de l’Information.

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