Le café du professeur McHale : blogs, RSS et signets partagés en classe

Puisse ce "faux témoignage" donner quelques idées aux enseignants en cette période de rentrée...

Une traduction que nous devons à Pierre Mounier, le chef d’orchestre du site Homo Numericus.

Les Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement (TICE) se heurtent quelquefois à la résistance des professeurs qui voient l’irruption de l’informatique dans leur activité comme une forme d’aliénation. Ils n’ont pas toujours tort, en particulier lorsque l’informatisation est l’occasion pour un certain nombre d’intermédiaires de faire émerger la notion de "briques" de contenus, définies en dehors de toute relation pédagogique singulière, interchangeables, et surtout vendables sur le nouveau marché de l’enseignement. Les dispositifs techniques qui opèrent cette redéfinition, les plate-formes d’e-learning, manifestent quelquefois de manière caricaturale cette aliénation : la relation pédagogique de l’enseignant avec ses élèves est désarticulée, pour fournir les morceaux qui entreront sans peine dans une base centrale de contenus formatés (et le formalisme technique de la base de données y joue un rôle non négligeable) où les uns et les autres occupent une place périphérique.

L’intermédiaire, structure publique ou opérateur privé qui possède, configure et opère sur la plate-forme, gagne un pouvoir considérable en devenant l’intermédiaire obligé par lequel toute relation pédagogique doit passer.

Et si on essayait de faire l’inverse ? Et si les technologies de l’information et de la communication pouvaient servir au contraire à renforcer le pouvoir et l’autonomie des acteurs individuels, enseignants, étudiants, parents, administratifs, au sein d’une communauté éducative feuilletée, c’est-à-dire elle-même composée de sous-communautés entrecroisées (par disciplines, centres d’intérêt, statuts, niveaux, etc.) ? Et si ces technologies pouvaient servir du coup à renforcer en l’enrichissant une relation pédagogique dont l’intégrité est respectée, plutôt que de chercher à la démembrer pour la faire entrer dans des contraintes définies ailleurs que dans la classe ?

Depuis très peu de temps, Internet connaît une nouvelle révolution des usages, liée à l’apparition de nouveaux outils de gestion de l’information : issus de l’hybridation entre des outils de recherche d’information, de publication et de mise en relation, les blogs, les signets partagés, les agrégateurs de nouvelles ont cette particularité d’être extrêmement simples techniquement et d’être centrés sur l’utilisateur, singulièrement les opérations continues de lecture/écriture qu’il mène sur le web (on parle de souvent de « read/write Web »)

Un certain nombre de personnes s’intéressent de très près à l’utilisation de ces outils dans le cadre d’une relation pédagogique. Cela prend parfois la tournure d’expérimentations pures et assez poussées, comme le backchannel sur lequel on lira une littérature étonnante. Plus simplement, on peut s’intéresser à la manière dont on a la possibilité d’utiliser des blogs, des signets partagés, des fils RSS dans une classe. Will Richardson, qui publie un blog passionnant sur le sujet est de ceux-là. Il a mis en ligne récemment un billet formé d’un court récit où il imagine comment pourrait se dérouler le début d’une journée d’un professeur d’anglais au lycée qui utiliserait intensivement ces outils.

Évidemment, le récit à quelque chose d’artificiel puisqu’il s’agit de déployer le maximum d’usages possibles en un minimum de temps. Mais il donne beaucoup d’idées et, ne ce serait-ce que pour cela, il vaut la peine d’être lu attentivement. En voici une traduction personnelle. Le lecteur indulgent voudra bien en excuser la faiblesse, imputable au fait que le traducteur, contrairement au héros de cette petite fable, n’est pas professeur d’anglais.

« Tom McHale, un professeur d’anglais, pose sa tasse de café et allume son ordinateur. Il est assis à son bureau, dans sa salle de cours. Il est 7 heures moins 10 et il a quarante-cinq minutes devant lui avant que ses élèves en journalisme ne viennent prendre place, encore tout ensommeillés.

Il s’authentifie et ouvre son journal personnel sur l’intranet de l’établissement. Il parcourt rapidement les titres du New York Times qui sont affichés sur sa page d’accueil et clique sur l’un des liens pour lire un article sur le journalisme de guerre qui, pense-t-il, pourrait intéresser ses étudiants. Un autre clic : Tom utilise le bouton « Envoyer à Scuttle [1] » qui se trouve dans sa barre d’outils. Il ajoute un commentaire au formulaire pré-rempli qui s’ouvre sur son écran, et l’ajoute à l’entrée « Journalisme » du système ScuttleEDU installé sur le serveur de l’établissement. En une action, il a archivé l’article pour pouvoir s’y reporter ultérieurement, et en même temps, il a automatiquement envoyé le lien et son commentaire sur le portail de son cours de journalisme. Ses élèves le verront apparaître lorsqu’ils se connecteront.

Ensuite, il ouvre son compte Bloglines [2] et parcourt la liste de tous les travaux que ses étudiants ont mis en ligne sur leur journal personnel durant la nuit. Il remarque une réponse particulièrement pertinente d’une élève, va sur son site personnel et y laisse une appréciation positive sur sa proposition (il remarque que d’autres élèves ont déjà fait de même). Là encore, il « scuttle » le site, l’ajoutant sous l’entrée « Bonnes pratiques », qu’il enverra sur la page d’accueil du cours pour que les élèves puissent en discuter, et sur un blog particulier qu’il a créé pour garder trace des meilleurs travaux d’élèves. Il est 7 heures.

Reprenant une gorgée de café, Tom jette un oeil sur les fils RSS qu’il utilise pour ses recherches, sur Bloglines. On lui a demandé de faire un travail de veille sur les technologies et l’enseignement de l’écriture, et ce matin, il voit que le fil RSS de sa recherche sur Google a fait apparaître une nouvelle version de « Write outloud ». Il clique sur le lien, apprend ce qu’il y a de nouveau sur le site et clique sur un autre bouton « Envoyer à Scuttle » qui enregistre le site sur un compte partagé entre tous les enseignants de son département. Dans le formulaire, il indique comment cette nouvelle version pourrait profiter à tout le département. Il lui attache la balise « Technologie » et archive automatiquement la page sur le blog du département d’anglais. Plus tard dans la journée, tous les membres du département verront le lien, ainsi que tous ceux qui auront été ajoutés par ses collègues à partir des mails d’alerte qu’ils auront reçu de Scuttle. Il décide aussi de créer un nouveau fil RSS à partir des résultats de recherche sur « journalisme » et « weblog ». Un clic sur la barre d’outils : une fenêtre de dialogue apparaît ; il tape les termes de recherche et coche la case désignant Feedster.com [3] (parmi quatre au total). Il confirme, et un nouveau fil s’ajoute au portail. A 7 heures 5, Tom envoie sur son journal personnel un devoir sur le symbolisme pour son cours magistral sur la littérature américaine. Au moment de l’ouvrir en ligne pour dernière vérification, il l’ajoute sous une entrée particulière sur Scuttle, avec son identification en enseignement d’anglais, ce qui envoie le devoir sur la page des Bonnes Pratiques en littérature américaine du site d’anglais. Les autres professeurs de littérature américaine vont recevoir une alerte par e-mail, les avertissant qu’un nouveau devoir est disponible, qu’ils pourront utiliser dans leur cours. Enfin, il ajoute un billet sur le portail de sa classe de littérature avec un lien vers le devoir, et le publie sur la page d’accueil du cours. Immédiatement, un e-mail est envoyé aux parents qui ont demandé de pouvoir surveiller le travail de leur enfant, ainsi qu’aux conseillers d’éducation qui suivent les élèves en difficulté.

A 7 heures et quart, Tom décide de parcourir les fils d’actualités de l’établissement qui agrègent tous les billets des blogs auxquels il est abonné. Il voit que l’équipe de basket a remporté le tournoi du département, qu’une nouvelle édition du journal de l’établissement est en ligne, et que le secrétaire général a publié des informations importantes sur un prochain exercice de sécurité. Il clique pour lire le billet en entier et laisse un commentaire suggérant un moyen de diminuer les bousculades dans les couloirs durant l’exercice (il remarque qu’un parent a aussi demandé qu’on modifie l’heure de l’exercice). De retour sur la page d’accueil, il décide de ne plus suivre les actualités de l’équipe de football ; il se rend donc sur la page des abonnements et décoche ce fil d’actualités. Il se rend compte cependant que la partie des « Actualités » comporte un nouveau fil sur les « Ventes de matériel », créé par le responsable informatique. Comme il souhaite acheter un nouvel ordinateur pour la maison, il clique pour s’inscrire.

25 minutes après, il vérifie son dossier de fichiers audio et voit qu’une interview du directeur de l’établissement réalisée par deux de ses élèves a été téléchargée sur son lecteur de mp3. Il le déconnecte de sa station d’accueil et le met dans sa mallette de manière à pouvoir l’écouter en voiture lorsqu’il rentrera chez lui après les cours. Si l’interview est bonne, il pourra l’envoyer sur la page de podcasts [4] de l’établissement où environ 135 abonnés (des parents pour la plupart) le recevront automatiquement. Peut-être trouveront-ils des réponses à leurs questions sur le projet de construction d’un nouvel immeuble.

Il reste à Tom quelques minutes avant le début du cours. Il ouvre son journal personnel et tape quelques mots au sujet d’un projet de littérature que ses étudiants devront terminer la semaine prochaine. Il archive sa note dans le dossier « littérature », de manière à pouvoir consulter toutes ses notes d’un coup s’il en a besoin. Maintenant que le volume d’emails en attente dans sa boîte de réception a singulièrement diminué, il parcourt les quelques messages restants, sirote une dernière gorgée de café et ouvre la porte, laissant entrer le brouhaha d’élèves joyeux. »

Article traduit de « Morning at RSS-Blog-Furl High School Redux », par William Richardson sur Weblog-edd, the read/write web in the classroom, 21 août 2005.

[1] Scuttle est un système de signets partagés similaire à deli.icio.us. ScuttleEDU est une adaptation en développement de Scuttle pour les communautés éducatives. ScuttleEDU repose sur la prise en compte du niveau d’enseignement de l’utilisateur et de sa spécialité disciplinaire pour le marquage et le partage des signets (NDT)

[2] Bloglines est un agrégateur de fils RSS en ligne. Comme les systèmes de signets partagés, il permet de découvrir les fils RSS auxquels sont abonnés les autre utilisateurs, s’ils le souhaitent (NDT)

[3] Feedster.com est un moteur de recherche spécialisé sur le contenu des fils RSS proposés, essentiellement, par les blogs (NDT)

[4] Le podcasting est un système de diffusion de fichiers mp3 attachés à des fils RSS. Il permet de télécharger automatiquement sur son lecteur mp3 des fichiers audio délivrés par les fils RSS auxquels on est abonné

Issue de Flickr et sous licence Creative Commons BY-SA, la photographie, qui ne représente ni Will Richardson ni Tom McHale, est l’oeuvre de meneldur.

Commentaires

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:: question :: précision :: avis :: commentaire :: bug ::

> Le café du professeur McHale : blogs, RSS et signets partagés en classe , le 14 novembre 2005 (0 rép.)

J’ai ouvert un post à ce sujet sur mon blog suite à un article écrit par un étudiant sur e-tud.com, si vous voulez témoigner : http://www.e-tud.com.over-blog.com/article-1199899.html

-----> Si les élèves sont nuls, c’est à cause des profs...

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> Le café du professeur McHale : blogs, RSS et signets partagés en classe , le 19 septembre 2005 par Pattt (1 rép.)

Bonjour !

Pour ma part, je tiens le cahier de texte de deux classes sous forme de blog. :-)

Ca se passe à la Réunion.

-----> Blog d’une classe d’allemand LV3

> Le café du professeur McHale : blogs, RSS et signets partagés en classe , le 22 septembre 2005 par Pierre Mounier

oui : simple, pratique, efficace. Que dire de plus ? Ah si : les élèves ne font pas de commentaire ? Ce serait intéressant.

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> Le café du professeur McHale : blogs, RSS et signets partagés en classe , le 5 septembre 2005 (1 rép.)

en un sens, ça me fait peur. Vous trouvez normal qu’un individu puisse mailer automatiquement à des centaines de gens en moins d’une demi-heure "parce qu’il trouvait que ça pourrait les intéresser" ? Le spam n’est pas loin de cette définition.

> Le café du professeur McHale : blogs, RSS et signets partagés en classe , le 8 septembre 2005 par Pierre Mounier

eh bien, d’abord, le spam concerne des courriers commerciaux non sollicités ; ensuite, il ne s’agit précisément pas de "mailer", mais de transmettre une information sur un fil RSS auquel ne sont abonnés que ceux qui le souhaitent. C’est d’ailleurs là un grand avantage du RSS : dans toutes les organisations, il y a toujours une ou plusieurs personnes qui fait suivre une information à des dizaines de collègues qui le reçoivent dans leur boîte aux lettres, qu’ils soient déjà au courant ou non (qu’ils le veuillent ou non aussi, d’ailleurs). Bref, c’est du push complet, générateur de beaucoup de bruit, très inefficace. Le RSS, c’est du semi-push, puisque 1. il faut s’abonner à un fil d’information (il faut être volontaire) 2. en tant que lecteur, on n’a pas à traiter l’information non-pertinente ; on la voit simplement.

-----> Qu’est-ce que le RSS ?

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