• Auteur : Hervé Le Crosnier
  • Date : 4 novembre 2004 (23 juillet 2005)
  • Licence : Creative Commons BY-NC-SA link_license
  • Site : Le site dédié au livre

À lire absolument : Du bon usage de la piraterie par Florent Latrive

Après l’intégralité de la préface, nous publions un deuxième (et dernier, c’est promis !) article autour du livre de Florent Latrive « Du bon usage de la piraterie ».

Il s’agit d’une lecture critique enthousiaste d’Hervé Le Crosnier, professeur à l’Université de Caen, fondateur de la liste biblio-fr, et auteur des "cent petits papiers" [1].

Le livre est publié aux Éditions Exils. Une version numérique pour le partage est diffusée en Creative commons by-nc-sa sur le site Freescape.

Pour d’autres critiques (peut-être moins dithyrambiques ?!), n’hésitez pas à utiliser le forum lié en bas de page.

Je voudrais vous faire partager mon enthousiasme pour le livre de Florent Latrive qui vient de paraître aux édition Exils : "Du bon usage de la piraterie".

Il s’agit du premier livre en français qui fasse le tour de la question de la "propriété intellectuelle", et qui souligne à la fois :

  • les dangers que portent les tentatives intégristes actuelles : la connaissance, la culture, l’information, ne peuvent être des propriétés "comme les autres", mais sont au contraire inscrites dans une dynamique collective et coopérative. Vouloir réduire la "propriété intellectuelle" à des droits du possesseur de "porte-feuille" (brevets, copyrights,...) c’est passer à côté de la façon dont l’ensemble de la société, les auteurs, mais aussi les lecteurs, les auditeurs, les innovateurs et créateurs précédents... agissent au sein de chaque oeuvre ou invention pour élargir le spectre global de l’intelligence humaine.
  • les méthodes d’élargissement du domaine public de la connaissance et de la culture que mettent en oeuvre les mouvements de libertés qui agissent au sein de la création et de l’innovation (mouvement des logiciels libres, mouvement des chercheurs pour le libre-accès à la science, mouvement des fermiers contre le monopole sur les semences, mouvement des "creatives commons", décisions des pays du Sud d’autoriser la copie de médicaments...)

Copier, utiliser, reproduire, faire circuler la culture et la connaissance est au coeur même de l’activité de création et d’invention. Les droits de "propriété intellectuelle" sont alors par nature des droits particuliers, truffés d’exceptions, partant d’un équilibre entre le soutien à l’activité créatrice et le bénéfice global de la société (les "droits des lecteurs"). Ce n’est qu’une tendance très récente qui vise à déformer cet équilibre pour considérer les droits de propriété intellectuelle sur le même régime que les droits patrimoniaux. Au mépris des besoins de l’ensemble de la société (par exemple des malades du SIDA qui ne peuvent acheter les médicaments dont l’industrie pharmaceutique veut interdire la copie). Et au mépris de ce qui reste dans chaque activité intellectuelle des autres créations (du passé, mais aussi du travail de co-construction des lecteurs, auditeurs, spectateurs, et même des testeurs des industries innovantes).

Le livre de Florent Latrive est écrit avec la plume allègre d’un journaliste, truffé d’exemples, de portraits, de situations concrètes. Il est aussi celui d’un penseur qui refuse le modèle dominant pour interroger la cohérence des diverses orientations qui prônent la "marchandisation" de la propriété intellectuelle.

Et dès lors, sous sa plume, c’est un tour d’horizon de la construction des nouvelles barrières qui s’installent sur la connaissance (les "new enclosures" en référence au guerres liées à la privatisation des terrains communaux au 17ème siècle). C’est aussi un recensement des ouvertures, des brêches portées dans ces nouvelles barrières par les acteurs mêmes de la création et de l’innovation.

C’est un monde en couleur, d’où émergent des figures actives, joyeuses et déterminées, comme celle de Larry Lessig (qui écrit la préface) ou de Richard Stallman.

C’est un livre court et précis où sont mis à rude épreuve les tenants des DRM, ces contrats automatiques limitant les possibilité d’écoute ou d’usage des fihciers numériques ; les partisans de la manière forte qui consiste à traiter tout un chacun de "pirate de salon" et à convier au tribunal des gamines de 12 ans ; les avocats de la politique inhumaine des trusts pharmaceutiques ; ou les stratégies des semenciers contre la nature elle même, cette grande copieuse qui fait de chaque graine une plante portant des graines.

En quelques heures de lecture vivante et éclairée, se dessine le paysage d’un combat majeur du 21ème siècle : celui de la privatisation intégrale de la connaissance auquel s’oppose la construction d’un domaine public élargi, visant au partage et à la coopération de la culture et de l’invention.

Car ce n’est pas un des moindres mérites du livre de Florent Latrive que de dessiner des réelles perspectives. En s’appuyant pour cela sur les expériences concrètes de créateurs qui choisissent une autre voie. L’axe central des perspectives qu’il trace porte sur la notion de "domaine public". Et de constater qu’au delà du domaine public historique (le patrimoine constitué par les oeuvres du passé) divers mouvements veulent ajouter des créations récentes pour construire un "domaine public consenti" : le mouvement des logiciels libres a ouvert la voie avec l’invention de la GPL (General Public Licence). Suivi par les "Creative commons", la diffusion des musiques en mp3 par leurs propres auteurs (par exemple Gilberto Gil, par ailleurs ministre de la culture du Brésil), les paysans qui défendent les semences fermières,...

En filigrane se dessine aussi une véritable "politique de l’immatériel". On est loin des pseudo-évidences et des discours simplistes des intégristes des droits de propriété intellectuelle. Florent Latrive évalue l’impact de la numérisation (qui crée de l’abondance dans le domaine de la culture et de la connaissance) et des conséquences que cela peut avoir pour l’organisation coopérative du monde. Combien de rêves de partage peuvent ainsi de mettre en place ? Et dès lors comment trouver les modèles économiques adaptés à cette évolution technique, modèles qui permettent l’existence d’un secteur immatériel (rétribution des créateurs et des intermédiaires qui participent à la création) sans oblitérer les perspectives ouvertes par le numérique.

Des descriptions, des critiques, des propositions : réussir à mener tout cela de front dans 150 pages à l’écriture limpide.

Bravo Florent Latrive.

Hervé Le Crosnier

(cette revue critique est de libre diffusion : licence Creative Commons by-nc-sa)

Commentaires

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À lire absolument : Du bon usage de la piraterie par Florent Latrive , le 23 novembre 2005 par delbe (0 rép.)

Avis : le livre est excellent mais - donner le même poids aux antirétroviraux génériques de l’Inde qu’aux fichiers P2P de Madonna circulant sur Internet est à mon avis potentiellement dangereux (de même que comparer les jeunes qui font du P2P musical aux réseaux pédophiles). L’accès libre à la connaissance, à la science, oui ! La possibilité de fabriquer des médicaments génériques qui sauvent des vies, oui ! Un comprimé antirétroviral est par essence non « partageable » : chaque personne doit en consommer les siens, c’est pourquoi il est pertinent et indispensable d’en fabriquer beaucoup et au moindre coût possible. Un livre, lui, peut se partager, être lu à plusieurs : c’est pourquoi il est indispensable que les bibliothèques gardent le droit de prêter et faire circuler librement les documents, sans restrictions ni distinctions. Il n’est pas indispensable, par contre, que chacun puisse télécharger intégralement, « pour lui tout seul », les œuvres complètes de Barbara Cartland ou le Mahabharata [pas de jugement de valeur : c’est pq la bible du brahmanisme est à côté de la dame en rose]. Parce que : 1) c’est impossible de lire un tel nombre de pages sur l’écran (c’est même mauvais pour les yeux). 2) On pourrait évidemment les imprimer, avec tout ce que ce cela comporte de tonnes de papier (tremblez forêts amazoniennes, conifères du Canada ! La « liberté » serait-elle ennemie de l’écologie ? N’encouragerait-on pas ainsi un consumérisme déguisé ?) Sinon tout à fait d’accord pour l’essentiel

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Forum Fnac et Florent Latrive en ogg , le 13 avril 2005 par blowup (1 rép.)

Salut , vu sur DLFP :http://linuxfr.org/ didirudy/17807.html La conférence de Latrive au forum Fnac du 12/04/2005.

A écouter !!!

-----> Le fichier de la conférence en oog :

> Forum Fnac et Florent Latrive en ogg , le 14 avril 2005 par xtofe

Merci pour l’info !

Lien... corrigé... ici

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> À lire absolument : Du bon usage de la piraterie par Florent Latrive , le 15 décembre 2004 par mozilla fan (1 rép.)

Sans doute très bien mais le titre ne me semble pas convenir. Il s’agit précisément d’avoir du libre pour que la question du piratage ne se pose pas.

Copier ne devrait pas être du piratage. Si c’en est, eh bien il faut fuir l’original copié.

Donc ne piratez pas M$ (ou autre), optez pour le libre.

C’est ce message dont on a besoin, car les pirates de M$ pensent qu’ils sont malins, alors qu’ils sont des esclaves et qu’ils forment des esclaves.

C’est en tous cas le message que j’essaie de faire passer dans mon site sur Mozilla etc.

Bref, le message du titre n’est pas clair au mieux.

Et ce livre, est-il libre ? Auteurs, libérez-vous des éditeurs ! Pourquoi ne pas publier sur le Web en FDL ou autre ?

-----> Mozilla-Fan

> À lire absolument : Du bon usage de la piraterie par Florent Latrive , le 16 décembre 2004 par Florent Latrive

Le livre est disponible en ligne sous licence Creative Commons by-non commercial-sa .

Il est disponible à cette adresse Cela vous permettra de vous faire une idée du sens dans lequel j’utilise et manipule le terme de pirate... Cordialement

Florent Latrive

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> À lire absolument : Du bon usage de la piraterie par Florent Latrive , le 23 novembre 2004 (0 rép.)

Bravo Hervé, je me doutais bien que tu ne passerais pas à côté de cet ouvrage. Je suis heureux de voir que le prof atypique du département informatique de Caen n’ a rien perdu de sa verve.

Cordialement.

Hugues. (Promo NAPI 2001.)

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> À lire absolument : Du bon usage de la piraterie par Florent Latrive , le 5 novembre 2004 (0 rép.)

Bravo aussi Hervé Le Crosnier, c’est une belle critique. Tellement bien écrite qu’on ne peut pas la taxer de parti-pris. Une manière très cohérente de dire ’j’aime’ et ’c’est utile’.

Au passage, bravo aussi pour votre travail.

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