LEN : la liberté, le crime qui contient tous les crimes

Samizdat est une assocation connue pour son "hacktivisme". Ils sont ainsi partie prenante des désormais célèbres Big Brothers Awards "qui récompensent chaque année les entreprises, administrations et personnalités qui se sont le plus, et le mieux, illustrés en matière d’atteintes à la vie privée, de surveillance généralisée, de contrôle des populations en général, ou de certains individus en particulier."
Ce texte est "engagé" mais il nous a semblé pertinent de le relayer ici car nous aussi sommes préoccupés par cette Loi qui parle d’une "confiance" qui n’est pas tout à fait la même que celle qui nous connaissons et partageons, par exemple sur ce site [1].
« Gouvernements du monde industriel, gérants fatigués de chair et d’acier, je viens du cyberspace, nouvelle demeure de l’esprit. Au nom de l’avenir, je vous demande, à vous qui êtes du passé de nous laisser tranquilles. Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez aucun droit de souveraineté sur nos lieux de rencontre »

John Perry Barlow
Déclaration d’indépendance du cyberspace.

L’Assemblée nationale a finalement voté en seconde lecture la « Loi sur la Confiance dans l’Economie Numérique » (LEN) sous les auspices de Nicole Fontaine, ministre de l’Industrie. De fait cette loi, si elle est définitivement adoptée, instaurera en France un véritable « contrôle des contenus » de l’Internet - pratiques jusqu’ici essentiellement réservées à des dictatures comme la Chine, l’Iran ou la Birmanie - et transformera par là-même, pour certains à leur corps défendant, tous les opérateurs de services Internet en véritables auxilliaires privés de police et de justice.

Concrètement selon la LEN désormais :

  • Nos courriers électroniques ne seront plus considérés comme de la correspondance privée, ce qui leur retire le droit à une totale confidentialité qui leur était jusqu’alors reconnu.
  • Les hébergeurs se voient imposer une obligation de surveillance par défaut de toutes les données stockées et transférées sur le réseau, qu’il s’agisse de sites web, d’interventions sur des forums, d’espaces de discussion en direct, de répertoires de données, etc.
  • Les fournisseurs d’accès devront participer à la censure a priori des contenus visibles en mettant en place des outils de filtrage dont il est notoire qu’ils sont techniquement inefficaces.

Officiellement cette loi, qui vise avant tout à sécuriser le « commerce électronique », prétend ainsi mettre en conformité la législation française avec une directive européenne... qui en fait n’existe pas ! En effet, aucune directive européenne à ce jour n’a jamais proposé de telles mesures que seuls des régimes autoritaires ont jusqu’ici instaurées.

Tout le monde sait, par contre, que les services de Nicole Fontaine sont particulièrement « attentifs » aux intérêts du lobby des majors du « loisir numérique » - celui-là même qui a obtenu d’un précédent gouvernement (socialiste) la taxation des supports numériques comme les disques durs ou les CD-Rom inscriptibles - qui est aujourd’hui prêt à sacrifier nos libertés pour empécher le téléchargement de quelques MP3 ou MPEG par la masse des adolescents et adolescentes ou mélomanes considérés comme des « clients » potentiels.

Ces dispositions, comme toujours prises au nom du principe sécuritaire, s’inscrivent aussi dans la continuité des mesures mises en place par la « Loi de sécurité quotidienne » (LSQ), conçuent par le gouvernement Jospin sous le nom de Loi sur la Société de l’Information (LSI) et mise en oeuvre aux premières heures du régime Raffarin-Sarkozy. Faut-il rappeler que la LSI a déjà, entre autre, imposé aux fournisseurs de services et aux hébergeurs de conserver des « traces » de l’activité en réseau de leurs utilisateurs (conservation des fichiers de log durant 2 ans) et a légalisé les intrusions policières sur les disques durs.

Aujourd’hui, contrairement à la LSQ qui fut adoptée dans une relative indifférence généralisée, en dehors des milieux militants et activistes, la LEN met en émoi tout l’Internet hexagonal, jusqu’à la très respectable Association des fournisseurs d’accès et de services Internet (AFA) qui se mobilise pour la « liberté d’expression » sur les réseaux.

Nous ne pouvons certes que nous réjouir de la multiplication des protestations contre un texte qui ne brille que par son mépris grossier des principes démocratiques les plus élémentaires. Nous ne pouvons, par contre, nous satisfaire des prises de position récentes de l’AFA qui annonce qu’en cas de vote « en l’état » de la LEN la réaction de ses membres (à savoir les plus importants hébergeurs commerciaux de France) serait de fermer les espaces personnels (site web, album photo, forum) de leurs « clients. » La belle affaire !

Suffirait-il de supprimer les possibilités d’hébergement gratuit des internautes - et se mettre ainsi à l’abri des foudres de la loi - pour garantir la pérénnité d’une liberté d’expression sur l’Internet accessible à tous et à toutes ?

Nous croyons au contraire qu’il appartient à l’ensemble des acteurs de l’Internet alternatif et non-marchand, mais aussi aux activistes qui utilisent les réseaux, à l’ensemble des internautes, des simples « utilisateurs » de services en ligne, non seulement de protester contre ce projet de loi, mais aussi et surtout de se donner les moyens de défendre concrètement et matériellement la liberté d’expression et de pensée dans ce pays.

Pour cela, il nous semble donc nécessaire, entre autre :

  1. De privilégier les structures d’hébergement associatif et mutualisé qui offrent un minimum de garantie morale quant aux données de connexion conservées et aux conditions de leur accessibilité par les services de police et de justice. Nous savons, par exemple, par de nombreux témoignages recueillis par la Fédération informatique et liberté (FIL) que certains fournisseurs commerciaux (dont des membres de l’AFA qui protestent aujourd’hui) pratiquent déjà la censure a priori, n’hésitant pas à fermer des sites web sur simple dénonciation - c’est-à-dire sans attendre une injonction légale - parce qu’ils proposent des fichiers en téléchargement ou sont consacrés à des sujets jugé à « haut risque » comme la situation au Proche-Orient.
  2. De refuser d’utiliser des services commerciaux en ligne (mailing lists, forum, webmail) qui conservent des données personnelles sur leurs utilisateurs, en général à des fins publicitaires, et font peu de cas de la sécurisation de celles-ci. Les cookies et autres javascripts inhérents à ces services sont trop souvent de véritables espions de nos activités en ligne.
  3. De privilégier l’utilisation de logiciels libres de navigation sur le Web et de gestion du courrier électronique (même lorsque l’on est sous Windows ou Mac !) qui permettent de façon transparente la gestion des données collectées par des sites web (gestion des cookies), le blocage des emails indésirables et des bandeaux publicitaires, l’intégration des outils de cryptographie, etc.
    Notons qu’au-delà des logiciels eux-mêmes, il existe également des systèmes d’exploitation sécurisés, comme la distribution GNU/Linux Knoppix-MIB, qui permet notamment aux utilisateurs de sécuriser la totalité de leurs données, quel que soit l’ordinateur qu’ils utilisent (CD-Rom bootable avec cryptage des données sur support amovible).
  4. De privilégier le recours à des services de courrier électronique sécurisé (accès à son courrier en POP ou en Webmail crypté) et généraliser le recours aux outils logiciels de cryptographie forte comme GNU Privacy Guard (GPG) pour sécuriser et authentifier le contenu de nos correspondances. Une pratique qui pouvait jusqu’ici apparaître comme l’apanage des nerds, geeks et autres hackers, mais qui devient essentielle lorsqu’un Etat entend s’arroger un droit d’accès à nos échanges personnels.
    Rappelons au passage que le cryptage des données est légal en France (depuis peu certes) et nous permet en toute légalité de nous protéger des conséquences de la LEN.
  5. D’utiliser massivement les capacités de diffusion des réseaux d’échange P2P (eDonkey, Overnet, Bittorrent, etc.), et des réseaux d’échanges cryptés (Freenet, GNUnet, Mute) de façon à utiliser pleinement les capacités de circulation des réseaux... bien au-delà des frontières étriquées de l’Hexagone.

Pour notre part, enfin, nous tenons à réaffirmer, vis-à-vis de tous ceux et celles qui nous ont fait confiance en demandant par exemple d’héberger un site web, d’utiliser notre service de mailing list ou de disposer d’une adresse email, que les pratiques qui ont été les nôtres jusqu’à ce jour continueront en dépit des modifications juridiques en cours et des menaces qu’elles font planer sur la liberté d’expression et l’existence même d’un véritable Internet alternatif.

Nous n’entendons ainsi, pas plus demain qu’hier ou aujourd’hui, demander à quiconque est hébergé sur samizdat.net de décliner une identité : le choix de ceux que nous hébergeons s’est toujours fait sur des critères politiques ou affinitaires. Nous n’entendons pas non plus surveiller à un titre ou un autre le contenu des sites Web, mailing lists, album photos, répertoires ou forum hébergés pour le compte des services de police ou de justice : chacun son boulot ! Notre rôle reste avant toute chose celui de favoriser, même modestement, la communication alternative et l’information libre, non de maintenir l’ordre social existant.

En tout état de cause, au cauchemar numérique que certains veulent nous imposer, nous choisirons toujours l’insoumission et la désobéissance.

samizdat.net
22 janvier 2004

[1] La photographie est d’Henri Cartier-Bresson, Bruxelles 1932

Initiatives à suivre :

  • La Ligue Odebi, qui regroupe les principales associations d’abonnés aux services de connexion haut débit, propose ainsi à l’ensemble des internautes de « frapper significativement, largement et durablement les intérêts économiques de l’industrie du disque » pour stigmatiser le lobby de l’industrie phonographique qui est à l’origine des mesures liberticides du projet de loi Fontaine. Cette campagne de boycott de l’industrie du disque nous semble effectivement un bon moyen de faire comprendre notre mécontentement aux majors en mettant le doigt là où cela fait mal.
    http://www.odebi.org/boycothon/
  • La Ligue Odebi (encore !) organise une campagne d’emails de protestation auprès des sénateurs, des députés et du Président de la République pour dénoncer la « loi des majors. »
    http://www.odebi.org

Référence :

Ressources :

Commentaires

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> LEN : Pétition à signer avec iris , le 23 janvier 2004 par jean-marc (0 rép.)

Il est possible de signer une pétition à titre individuel ou collectif sur le site IRIS (Imaginons un Réseau Internet Solidaire).

-----> pétition

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> LEN : la liberté, le crime qui contient tous les crimes , le 23 janvier 2004 par Thetaz (0 rép.)

La réponse d’un juriste sur le forum de Odebi.

Juste histoire de mettre un peu de sérieux dans le fratra de bêtises que cette loi inspire.

http://www.odebi.org/forums/index.php ?showtopic=351

-----> Réponse juriste

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